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"La machine à croire au progrès s'est bloquée en France"

Publié le par Stéphane GOMEZ

LE PARISIEN – Interview Laurent FABIUS
25 Juillet 2010


1/ Avez-vous été surpris par la violence des derniers incidents survenus à Grenoble et Saint-Aignan notamment ?
Malheureusement non. Comme élu local, je constate les problèmes sur le terrain, leur nombre et leur gravité n'a pas diminué, au contraire. M. Sarkozy ne règle pas les difficultés, il se contente de les nommer. C'est particulièrement vrai sur le plan de l'insécurité où son échec est total. Ce n'est pas une présidence d'action, c'est une présidence gesticulatoire !

 

2/ Mais que faut-il faire ?
Il y a quatre orientations à prendre d'urgence. D'abord, les moyens humains : plus de 10 000 postes de policiers et de gendarmes supprimés, ou en voie de l'être, c'est absurde. La sécurité n'est pas qu'une affaire de caméras. Il y a besoin de police de proximité. Deuxièmement, les règles de détention d'armes doivent être plus strictes. Troisième point, délicat : il faut pouvoir, dans certains cas, écarter pour un temps d'une zone géographique les personnes qui sèment de graves désordres. Pour leur réapprendre - et parfois leur apprendre - les règles élémentaires de la vie collective. Enfin, toute infraction doit être sanctionnée rapidement. Lorsqu'une agression est commise et que son auteur identifié continue de sillonner le quartier durant un an avant d'être jugé, c'est insupportable pour les citoyens.

 

3/ Vous comprenez que Nicolas Sarkozy parle de «guerre» ?
Les mots, d'ailleurs contestables, ne remplacent pas l'action. L'utilisation du terme «karcher» n'a pas amélioré la situation dans les quartiers. Elle s'est détériorée. Les acteurs de terrain préviennent du risque de revivre les émeutes de 2005. Nous sommes déterminés, nous, à apporter l'autorité et la sécurité dont notre pays a besoin.

 

4/ Nicolas Sarkozy a-t-il stigmatisé les Roms selon vous ?
Toute généralisation de ce genre est abusive. Il faut éviter un traitement ethnique de la violence. On attend d'un chef de l'Etat qu'il rassemble, or M. Sarkozy pratique une stratégie de la tension. Il tend les relations entre les fonctionnaires et les non fonctionnaires, entre les jeunes et les séniors, entre une communauté et une autre... Il espère en sortir électoralement renforcé. Il a tort.

 

5/ Que pensez-vous du feuilleton de l'affaire Woerth ?
Je constate que, après plusieurs semaines, beaucoup de questions élémentaires demeurent : Y a-t-il eu fraude fiscale massive ? Si oui, pourquoi n'a-t-elle pas été poursuivie ? Y a-t-il eu des versements politiques illégaux pendant la présidentielle ? Y a-t-il eu connivence entre tel membre de l'exécutif, tel employeur, tel financier ? Y a-t-il eu information privilégiée entre l'Elysée et tel magistrat ? La thèse officielle n'est guère convaincante. Il faut établir la vérité par une justice indépendante.

 

6/ Le débat sur les retraites reprendra dès début septembre...
On essaie de nous faire croire que ce débat se joue entre un gouvernement courageux qui voudrait une réforme et nous qui avec les syndicats n'en voudrions pas. C'est faux ! Nous voulons une réforme, mais juste et responsable, notre plan est d'ailleurs beaucoup plus équilibré socialement et financièrement que celui du gouvernement. L'UMP veut reculer de 2 ans l'âge de la retraite et faire payer les seuls salariés : cela ne règle pas les problèmes financiers et c'est inéquitable. Le PS propose, lui, une garantie d'âge pour ceux qui ont commencé tôt, une augmentation de la durée de cotisation, l'équilibre entre l'apport financier des salariés et celui des revenus du capital, le soutien concret à l'emploi des séniors. Un des points choquants dans le texte gouvernemental concerne la pénibilité. Nous voulons que, après 10 ans sur un chantier ou en 3x8, on ait droit à un an de bonification pour la retraite. Le Gouvernement refuse, selon lui le travailleur n'aurait droit à quelque chose que s'il est reconnu malade ou invalide à plus de 20 %. Les 10, 20, 30 ans de travaux pénibles effectués n'existent plus ! Ce n'est pas seulement injuste, c'est honteux. Mais les Français ne laisseront pas cette injustice sans réagir.

 

7/ A deux ans de la présidentielle, quelle doit être la position du PS ?
Insister sur le triangle progrès-effort-justice. La machine à croire au progrès s'est bloquée en France, d'où le découragement de beaucoup. Nous devons montrer qu'on peut réaliser encore des progrès collectifs et individuels, mais sans démagogie. Nous devons souligner les efforts à accomplir car la situation devient catastrophique particulièrement en matière de finances publiques. Enfin, nous proposons davantage de justice, sinon l'effort ne sera pas accepté. Si on donne force et consistance à ce triangle, si on le fait dans l'unité, le probable candidat Sarkozy a du souci à se faire.

 

8/ Nicolas Sarkozy est, selon vous, un mauvais gestionnaire ?
C'est incontestable. Depuis 20 ans, les périodes où les déficits budgétaires ont été les plus massifs sont celles où il a été aux responsabilités : au budget, aux finances, à l'Elysée. Certes depuis longtemps il y a eu des budgets déficitaires. La seule période de réduction de l’endettement par rapport à la richesse nationale, c’est dans les années 2000-2001, avec D. Strauss-Kahn et moi comme ministres des Finances. Mais sur les courbes d’endettement on voit bien que ce sont les mesures massives et injustes de défiscalisation prises par MM. Sarkozy et Fillon qui ont gravement détérioré la situation. La crise est venue diminuer encore plus les recettes et creuser les déficits. Nous devrons rééquilibrer progressivement les comptes.

 

9/ Craignez-vous que la situation empire ?
C'est un vrai risque. A la rentrée, la compression des budgets des collectivités locales peut se répercuter sur les PME de travaux publics et de logement, avec des effets sur le chômage. Le passage s'opère de plus en plus non seulement de l'emploi vers le chômage, mais du chômage de longue durée vers la pauvreté. La consommation recule, les couches moyennes et modestes sont pénalisées. Enfin, la France sort du champ des radars. Elle se retrouve, dans plusieurs secteurs industriels, au niveau de la Grande-Bretagne, là où l'Allemagne s'en sort bien. Triste bilan !

 

10/ Nicolas Sarkozy est-il profondément atteint politiquement ?
Je pense que oui. On lui reproche, y compris dans son propre camp, les promesses non tenues : pouvoir d'achat, sécurité, République irréprochable, il n'est plus crédible. Le sentiment majoritaire est qu’avec sa présidence on n’a pas avancé mais reculé : la France perd du temps et des places. Enfin, je le constate notamment auprès de séniors qui étaient le cœur de l’électorat sarkozyste, beaucoup lui reprochent de ne pas se comporter en président.


11/ Concernant les primaires au PS, vous militez toujours pour un accord entre vous, Martine Aubry et DSK en vue d’une seule candidature?...
Pas seulement entre nous trois. La gauche, le PS, ont énormément souffert de la division. Nous avons besoin d'unité. Il y aura des primaires, elles nous donneront une légitimité forte, mais cela ne doit pas signifier un combat implacable entre les principaux dirigeants. Il est légitime que celles et ceux qui, au sein du PS, partagent beaucoup d’idées et mesurent combien l’unité est décisive adoptent une approche commune. Ce sera mon action et mon choix.

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