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L'inquiétante balkanisation du ministère des sports

Publié le par Stéphane GOMEZ

Point de vue | LEMONDE.FR | 27.09.11 | 09h22
par Valérie Fourneyron, députée-maire de Rouen et Alain Loret, directeur de la faculté des sciences du sport de Rouen

 


Question : une administration en charge d'un service public est-elle capable de supporter cinq ministres différents en quatre ans ? L'histoire de la Ve République ne présentant aucun exemple d'un même premier ministre choisissant de balkaniser à ce point une responsabilité ministérielle, la réponse est non.


C'est pourtant ce que vient de subir le ministère des sports avec le dernier remaniement qui a vu Chantal Jouanno préférer le train des sénateurs à la foulée des athlètes. Cette minuscule administration, bataillant ferme pour maintenir à flot un service public du sport créé par le général de Gaulle, aura donc vu défiler  Bernard Laporte, Roselyne Bachelot, Rama Yade, Chantal Jouanno et David Douillet en quarante-huit mois. C'est inédit mais, surtout, cela ne correspond pas au temps que François Fillon a lui-même passé à la tête du gouvernement qui est de… cinquante-quatre mois. Cherchez l'erreur ?


La réponse est, à la fois, surprenante et choquante. Elle est surprenante car au mois de mai 2007, lors du premier gouvernement Fillon, la prise de fonctions de Bernard Laporte fut retardée de six mois pour cause de Coupe du monde de rugby. Le sport inaugurait là une nouvelle disposition gouvernementale : celle d'un ministre nommé mais n'assumant pas ses responsabilités pour convenances personnelles. Elle est par ailleurs choquante à un double titre. D'une part, parce qu'il s'agissait d'une dévalorisation politique du sport qu'assuma volontairement Nicolas Sarkozy qui n'avait pas anticipé le fait que son partenaire de foot n'était pas disponible.


D'autre part, parce qu'en ne prenant ses fonctions qu'au mois d'octobre 2007, Bernard Laporte ne fut pas en mesure de préparer ni de défendre son budget. Pour un ministre il n'y a pas de pire situation. Sans aucune expérience, fraîchement débarqué d'une Coupe du monde qui avait mis à mal son image pour cause de résultats décevants, méprisé par ses collègues du gouvernement et materné par Roselyne Bachelot, sa ministre de tutelle qui avait d'autres priorités, il occupa son poste dans des conditions tellement scabreuses qu'il ne s'en remis jamais.


La suite fut à la mesure du peu d'intérêt que marqua Nicolas Sarkozy pour une activité sociale pourtant massivement plébiscitée par les Français. Trente-cinq millions d'entre eux sont en effet des sportifs pratiquant. Ils furent totalement ignorés. Le président en avait pourtant fait l'une de ses priorités : "j'aurai réussi ce que je veux faire de mon quinquennat si je fais avancer l'idée du sport dans la société", affirmait-il en janvier 2009 lors de ses vœux au mouvement sportif tricolore.


Or, non seulement le défilé ininterrompu des ministres qu'il imposa à ce dernier fut un handicap majeur, mais c'est surtout l'évolution aberrante du périmètre politique du ministère qui posa de nombreux problèmes aux fédérations. Qu'on en juge. D'emblée Bernard Laporte puis Rama Yade se trouvèrent déclassés politiquement puisqu'ils se virent attribuer un simple secrétariat d'Etat sous l'autorité du ministère de la santé alors que Jean-François Lamour, leur prédécesseur du gouvernement Villepin, était titulaire d'un maroquin à part entière.

 

Pour leurs parts, Chantal Jouanno et aujourd'hui David Douillet furent propulsés ministres de plein exercice sans que l'on identifie très bien les raisons de cette promotion. En effet, le ministère des sports est devenu une coquille vidée de toute cohérence politique. Et pour cause : en quatre dizaines de mois, l'administration des sports a vu ses prérogatives fluctuer étrangement. Associée tour-à-tour à la santé, à la cohésion sociale, à la jeunesse ainsi qu'à l'économie sociale et solidaire dans un contexte de réduction drastique de ses moyens pour cause de révision générale des politiques publiques (RGPP), elle perdit rapidement ses marques.

 

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Rama Yade, totalement néophyte, se contenta de papillonner. A sa décharge, nous observerons qu'elle fut constamment sous la coupe de Roselyne Bachelot qui s'afficha invariablement devant les caméras chaque fois qu'une équipe de France montait sur un podium. Pour sa part, sans aucune marge de manœuvre, Chantal Jouanno fit de son mieux, c'est-à-dire pas grand-chose, en à peine dix mois de présence au gouvernement. Reste donc David Douillet qui accède enfin au maroquin qu'il briguait ostensiblement depuis le début du quinquennat. Saura-t-il le faire fructifier ? L'avenir nous le dira. Reste qu'il devra mettre les bouchées doubles puisqu'il ne disposera que de sept mois pour exercer ses talents. Soit beaucoup moins que tous ses prédécesseurs…

 

Valérie Fourneyron est aussi vice-présidente du groupe socialiste, radical et citoyen à l'Assemblée nationale, en charge du sport ; Alain Loret est aussi professeur des universités.

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