Ils ne se marièrent pas et n'eurent pas d'enfants
Appelons-les Alain et Jean-Claude, pour préserver leur anonymat. En vérité, ce n'est guère utile, car s'ils accédaient à internet et autres outils informatiques, ils étaient d'une génération avec leurs proches qui ne bloguait pas, ne tweetait pas, ne facebookait pas, et les quelques lignes que j'écris s'adresse très sûrement à des gens qui ne les connaissaient pas.
Beaucoup d'imparfait dans ma phrase, mais il y a tant de choses imparfaites: cet après-midi j'emprunterai encore cette année le chemin d'un cimétière pour un "au revoir" à l'un d'eux. La maladie aura été plus forte que leur amour, aura été plus forte "à un an près".
Car Alain et Jean-Claude avaient un espoir, après plus de 30 ans de vie commune: celui de se marier.
Pourquoi vouloir se marier, quand on a presque 70 ans et que l'on a vécu plus de 30 ans ensemble?! Pour quoi? Plus personne ne doutait de leur amour, de la solidité de leur couple, plus personne dans leur ville populaire ne se serait permis une remarque déplacée devant eux ni derrière eux. Leur couple n'avait plus rien à démontrer. Alors, pourquoi?
Peut-être pour dire. Pour dire après les années de placard, les années de SIDA, les années de haine ou de mépris, les années de combat contre l'indifférence, contre les discriminations, contre l'inégalité de droit, pour dire simplement: "regardez, nous sommes-là, notre couple existe car notre amour existe, nous sommes là et nous sommes fiers".
Alain et Jean-Claude n'avaient plus rien à prouver, et ils prêtaient peu d'intérêt à l'institution maritale. Ils ne lui prêtaient peu d'intérêt mais voulaient se marier, comme une dernière provocation, comme un dernier symbole de leur amour, de la banalité de leur amour, comme un dernier geste de leur fierté.
Ce dernier symbole, qu'ils espéraient pouvoir enfin réaliser dans un an, ils ne pourront pas le mener jusqu'au bout. La maladie a été plus forte non pas que leur amour mais que leur couple qu'elle vient de briser.
La maladie et la bétise humaine: au moment où se pose au Parlement la question de la pension de reversion chez les couples pacsés (autre promesse non-tenue du sarkozysme aboyant), on ne peut que constater amèrement la responsabilité couarde de ces politiques qui depuis 10 ans oeuvrent contre le sens de l'égalité pour empêcher l'ouverture du mariage aux homosexuels.
Alain et Jean-Claude s'aimaient mais ne se marieront jamais. Cela, Nicolas, François, Nadine, Christian, Brigitte, Lionel, Hervé et tous nos autres éminents docteurs de l'homophobie institutionnelle ne le sauront jamais. Mais je voulais quand même le dire. Tout à l'heure, je rendrai un dernier hommage à l'un d'eux, là je voulais rendre un hommage à leur couple et à leur amour.
À Alain et Jean-Claude, pour tout cet amour là, merci et chapeau bas. À nous, pour tout leur amour, toujours le poingt levé...