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Dites comment vous allez faire...

Publié le par Stéphane GOMEZ

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Mes chers collègues,

 

La motion de censure que je défends au nom du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) n’a pas pour objectif, je lève ce suspense, de renverser le Gouvernement - vous êtes rassurés - mais d’aborder les sujets de fond que vous ne nous avez pas permis d'aborder, en présence du président de la République, à Versailles.

 

Sachant, ce qui devrait faire réfléchir, qu’un grand quotidien économique, interrogeant ce matin les français pour savoir s’ils étaient oui ou non favorables à cette motion de censure, répondait : une majorité est favorable à la motion de censure des socialistes.

 

*

 

Monsieur le Premier Ministre,

Vous monterez à la tribune au moment où vous le souhaiterez, vous nous expliquerez toute une série de choses. Mais, suivant avec attention vos propos, je sais déjà que vous aurez probablement recours à un argument : celui de dire « C’est difficile, mais le coupable c’est la crise internationale ». C’est vrai que la crise internationale a une responsabilité fort importante. Mais je voudrais tout de suite, pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité entre nous, vous renvoyer à vous-même. Au mois de septembre 2007, alors qu’il n’y avait aucune crise à l’horizon, vous exprimant à Calvi, vous disiez : « La France est en faillite ». Si ce n’était pas la crise, il faut bien qu’il y ait des responsables : vous étiez déjà au Gouvernement, et la droite avec vous depuis plus de 5 ans.

 

Je veux me situer sur le fond et partir évidemment de ce qui se produit en ce moment, c'est-à-dire à la fois une révolution dans le monde, et une crise. La révolution dans le monde, pas besoin d’être long, tout le monde l’a à l’esprit : c’est la mondialisation, la révolution écologique, la révolution démocratique, le vieillissement. Tout cela, c’est vrai, modifie l’ordre des facteurs. A quoi s’ajoute la crise internationale, qui n’est pas un accident comme le disent certains, mais un enchaînement précis. Des exigences financières de rentabilité du capitalisme, sans commune mesure avec les possibilités de croissance de l’économie, conduisent à une baisse de la rémunération du travail par rapport au capital et à une augmentation des emprunts et de l’endettement. Un jour le château de cartes s’effondre, c’est ce qui s’est passé en 2008 et en 2009.

 

Par rapport à cela, permettez moi de vous le dire, beaucoup d’entre nous –et c’était aussi un commentaire de la presse- ont trouvé les propositions de Monsieur le Président de la République un peu courtes. A vrai dire, il y en a eu trois qui ont été retenues par les observateurs.

 

Première proposition : le grand emprunt. Il faut avoir les idées claires.

 

Ou bien ce grand emprunt a une finalité économique, et dans ce cas Monsieur le Premier Ministre, il faut que cet emprunt soit banalisé. Car aujourd’hui, malgré son endettement massif, la France emprunte à un taux qui n’est pas excessif. Vous confirmerez-nous que c’est bien un emprunt banal ? Mais s’il est banal, pourquoi une telle communication autour ? Et si cet emprunt est banal, et vise à couvrir des dépenses supplémentaires, alors est-ce que cela veut dire que vous admettez que votre plan de relance était insuffisant ? Mais alors aussi, n'amputez pas les ressources des collectivités locales, responsables de 75 % des investissements civils ! Et dites comment vous financerez.

 

Ou bien ce grand emprunt est essentiellement à vocation publicitaire. Alors cela coûtera beaucoup plus cher. Cela portera le nom du Président de la République. Et ce sera proposé quelques jours avant les élections régionales.

 

Je crains fort que dans le choix qui s’opère, ce soit vers le deuxième terme que votre inclination vous porte. Nous vous entendrons avec intérêt sur ce point. Cette première piste, en tout cas, n’est pas à la hauteur du défi.

 

La deuxième mesure, c’est l’annonce que l’âge de la retraite va être reculé. M. Hortefeux a même envisagé : « La retraite à 67 ans ». Si c’est cela votre réponse à la crise, vous passez complètement à coté de la question. Porter l’âge de la retraite à 67 ans alors même qu’en France, la plupart des salariés sortent de l’entreprise à 52, 54, 58 ans, cela veut dire diminuer les retraites. Cela, nous ne l’accepterons pas. Il y a d'autres paramètres sur lesquels il faut jouer - pénibilité, espérance de vie, etc.

 

L’annonce de la généralisation du travail le dimanche. Là non plus, ce n’est pas une solution. Puis il y a eu tous ces discours généreux, l’un d’entre eux tenu devant l’organisation internationale du travail (OIT). Lorsque le Président s’exprime à l’étranger sur les questions sociales, il parle impeccablement à gauche. Mais lorsqu’il agit sur le sol national, il agit toujours à droite. Cela, nous ne l’acceptons pas non plus.

 

Il y eut enfin une troisième proposition dans la déclaration de Monsieur le Président de la République, qui est passée inaperçue mais qui est très importante. Elle concerne le scrutin territorial. On nous a dit : il va y a voir une réforme territoriale –vous allez peut-être la préciser. Nous ne sommes pas ennemis d’une réforme. Mais il s’agit de manipuler le scrutin territorial pour faire en sorte que des Départements et des Régions de gauche soient gérés par la droite, alors cela non plus, nous ne l’accepterons pas.

 

Il ne s’agit pas d’un procès d’intention. Lorsque j’examine le découpage électoral législatif que vous proposez, et j’aimerais vous entendre sur ce point, les spécialistes nous indiquent qu’il y a un véritable déni de démocratie. Dans ce découpage, il suffirait à ce coté de l’hémicycle (la droite) d’obtenir 49% des voix pour avoir pour 51% des sièges !

 

La réalité qui accompagne votre gouvernement est simple : le chômage : 2000 chômeurs de plus par jour. 700 000 à 800 000 de plus à la fin de l’année. Le commerce extérieur, clé de la compétitivité : en 2006 –pas question de crise- 20 milliards de déficit. 2007, pas question de crise : 40 milliards de déficit.  2008, pas question de crise : 55 milliards de déficit. Voilà la réalité de votre politique.

 

A quoi j’ajoute l’endettement. Monsieur Séguin, qui n’est pas suspect de partialité, disait qu’avec tout l’endettement que vous avez accumulé, la France devra rembourser cette année plus que le produit de l’impôt sur le revenu. Monsieur Sarkozy s’est fait élire comme le Président du pouvoir d’achat ; aux yeux des Français, c’est aujourd'hui Monsieur chômage et Monsieur déficits.

 

*

 

Monsieur le Premier Ministre, mes chers collègues, on nous demande des propositions, en voilà quelques-unes.

 

A court terme, nous vous demandons de suspendre le bouclier fiscal dont Monsieur Goulard, avec honnêteté, a précisé hier que pour les 100 premiers bénéficiaires, à la tête d’un patrimoine de plus de 15 millions d’Euros, cela représente un chèque annuel du Trésor Public à leur égard de plus d’un million d’Euros. C’était inacceptable en période habituelle, cela devient scandaleux en période de crise

 

Deuxième mesure : nous vous proposons de suspendre les dizaines de milliers de suppressions d’emploi public auxquelles vous vous apprêtez à procéder. Vous dites : « Mon idéal, le cœur de mon action, c’est l’emploi, c’est l’avenir », alors que dans l’Education Nationale, clé de l’avenir, vous allez supprimer plus de plus de 10 000 postes à nouveau.

 

Enfin nous vous demandons en urgence d’allonger l’indemnisation, pas seulement pour les CDI qui ont fait l’objet d’une mesure bienvenue, mais aussi pour les travailleurs précaires, pour les CDD. Il y a là des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui n’auront rien si l’on ne change pas la donne.

 

Bien sûr il faut une vision plus générale. Qui passe d’abord, Monsieur le Premier Ministre, par une croissance solidaire. Qu’entends-je par là ? Nous avons voté avec vous le Grenelle de l’Environnement. Nous attendons son application.

 

Nous savons tous, dans nos circonscriptions, qu’il y a besoin de transports publics, nous les proposons. Mais les crédits n’arrivent pas. Nous proposons d’améliorer le logement, y compris les logements existants. Mais les crédits n’arrivent pas. Nous proposons d'encourager l’innovation et la recherche. Mais les crédits sont insuffisants.

 

Nous proposons que les recettes soient au rendez-vous. C’est pourquoi nous vous demandons de revenir sur un certain nombre de mesures iniques que vous avez prises : par exemple, toute une série de niches fiscales et sociales qui ne se justifient pas. Les stock-options : aujourd’hui, il faut les réserver aux entreprises nouvelles. Nous proposons, comme le demande l’ensemble des organisations syndicales, que les exonérations de cotisations sociales pour les entreprises, en particulier les PME, soient subordonnées à la conclusion d’accords salariaux. Enfin, d’une façon plus générale, nous proposons de rerevenir sur l’injustice fiscale.

 

Monsieur le Premier Ministre, nous vous demandons aussi de respecter pleinement la démocratie. Car il y a un lien entre tout cela : l’égoprésidence. Respecter la démocratie, cela veut dire respecter la démocratie parlementaire. Nous proposons de respecter la démocratie référendaire : Monsieur le Premier Ministre, nous voudrions savoir quand va sortir le texte qui permettra à la population, appuyée par les députés, d’initier un référendum d’initiative populaire ? Nous vous prévenons d’ores et déjà, le premier référendum, si vous rendez cette initiative possible, aura pour objet de contrer la privatisation de La Poste qui est une iniquité et un danger. Respect de la démocratie en ce qui concerne les medias. Nous proposons l’égalité médiatique entre la majorité et l’opposition. Respect de la démocratie en matière judiciaire : nous proposons que le Président de la République se mette enfin à suivre les avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Respect de la démocratie sociale, en consultant, alors que vous ne l’avez pas fait concernant le travail le dimanche, les organisations syndicales. En faisant en sorte, par exemple, comme nous le proposons, que dans les comités de rémunération figurent désormais des représentants des salariés.

 

Nous proposons en même temps une vision nouvelle de l’Europe. Les élections européennes ont été favorables pour vous et pour les écologistes. Elles ont été défavorables pour le Parti socialiste. Elles ont surtout été favorables à l’abstention. Cela veut dire que nos concitoyens souhaitent une Europe différente, une Europe plus démocratique, plus écologique, plus sociale. Nous vous proposons d'agir pour qu’une Directive européenne empêche qu’on privatise le service public, pour qu’il y ait davantage de coopérations renforcées en matière de recherche ou encore d’énergie. En matière de défense, j’ai encore le souvenir, m’exprimant à cette tribune à propos de la réintégration dans le commandement intégré de l’OTAN, qu’on nous avait dit : « Il va y avoir plus de défense européenne ». Nous n’en voyons pas le début du début.

 

Nous proposons aussi un véritable « Europlan » de cet Eurogroupe dont nous souhaitons qu’il soit renforcé. Car la grande question qui se pose, chers collègues, c’est de savoir si le siècle qui s’est ouvert sera dominé par la Chine, par l’Amérique, par les deux, ou si l’Europe, comme nous le souhaitons, aura sa place, défendant à la fois ses valeurs et les pays qui la composent, au premier rang desquels, la France.

 

*

 

Monsieur le Président,

 

Je conclus par deux observations simples. J’ai dit, en commençant ce propos, que les Français, dans leur majorité, soutiennent le principe de cette motion de censure. Pourquoi ? Tout simplement parce que nos compatriotes voient avec beaucoup d’inquiétude, et nous la partageons, les inégalités croître, la jeunesse sans perspectives, les difficultés de l’emploi, les difficultés de pouvoir d’achat. Et ils n’ont pas le sentiment que les décisions que vous prenez permettront de lever ces difficultés. D’où une défiance, qui s’adresse sans doute à l’ensemble des formations politiques, mais en particulier à votre Gouvernement.

 

Deuxième observation : on attend d’un Gouvernement qu’il sache faire face au présent et prépare l’avenir. Or la raison pour laquelle les Français ne vous font pas confiance est qu’ils ont le sentiment que vous ne tirez pas vraiment les leçons de la crise, que les choses n’ont pas changé dans le bon sens. Les banquiers continuent de ne pas prêter assez aux PME. Les financiers continuent de s’octroyer des rémunérations inacceptables. Les jeunes, les chercheurs, les créateurs, continuent à ne pas se voir proposer de perspectives. Les agriculteurs continuent d’être pénalisés, en particulier dans le domaine du lait. Les commerçants continuent à se faire pénaliser par les grandes surfaces. Les serviteurs des collectivités publiques et les élus continuent d'être stigmatisés.

 

D’une façon générale, on n’a pas le sentiment que les problèmes de la France pour aujourd’hui et pour demain soient pris à bras le corps comme ils devraient l’être.

 

Nous savons que gouverner c’est difficile. Mais nous savons aussi que la France a besoin de changement. C’est dans cet esprit de changement et de rassemblement que nous travaillons. Voila pourquoi Monsieur le Premier Ministre, mes chers collègues, au nom du groupe SRC et en application de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de censurer la politique économique et sociale du Président et du Gouvernement.

 

 

Laurent FABIUS, Assemblée Nationale, mercredi 8 juillet 2009.

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C
l'eminence grise qu'est laurent Fabius devrait nous donner des atouts majeurs pour savoir ce qui va falloir faire  t de demander aux français de sepositionner  de tel sorte que plus jamis celàun gouvernement de fantoches?
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