Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

ÉGALITÉ contre ÉGALITÉ

Publié le par Stéphane GOMEZ


Dimanche  1er Février 2009

Liberté, fraternité... diversité ?

Du fait de leur couleur ou origine, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance religieuse, des pans entiers de la population se voient plus ou moins tenus à l’écart de la citoyenneté ordinaire, victimes de discriminations. Dans nombre de pays, des traits culturels et un sentiment d’appartenance, des liens de solidarité unissant les membres d’un groupe à l’histoire commune existent bel et bien. On ne saurait donc analyser toute société à l’aune des seuls rapports de classes. Pour ne prendre qu’un exemple, on rappellera l’expérience amère des sandinistes, au Nicaragua, au début des années 1980 : animés d’idées généreuses, mais par trop jacobines et centralisatrices, ils ont ignoré la culture spécifique des Indiens Miskitos, entrant dans un conflit aux funestes conséquences une guerre ! avec eux. D’un autre côté, l’« Obamania » qui a déferlé sur la France a remis à l’ordre du jour le débat sur l’« invisibilité » des « minorités visibles » et la longue marche des « Obama français ». Après les nominations de Mmes Rachida Dati, Rama Yade et Fadela Amara au gouvernement, le président Nicolas Sarkozy a annoncé, le 17 décembre, l’arrivée de M. Yazid Sabeg au poste nouvellement créé de commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. La différence se voit ainsi reconnue et valorisée. Voire amplifiée ! Au risque de renforcer une assignation à résidence communautaire ou religieuse quand, affirme ci-dessous Walter Benn Michaels, le problème principal est la recherche de l’égalité économique.

« En 2001, la question de la diversité ne se posait même pas, aujourd’hui, le débat est lancé. »  (1) Cette remarque du quotidien Libération saluait l’augmentation (jugée encore timide) du nombre de candidats de gauche dits « de la diversité » aux élections municipales de mars 2008. Mais la gauche n’a pas le monopole de la réflexion sur la diversité en France. Après tout, c’est M. Nicolas Sarkozy qui, quelques mois auparavant, avait proposé de faire inscrire cette valeur dans le préambule de la Constitution ; le chef de l’Etat entend en effet « accélérer puissamment » l’expression de la « diversité ethnique »  (2) au sein des élites.

Face à cette dynamique française, un Américain peut éprouver deux sentiments mêlés. D’abord, la surprise : cela fait pratiquement trente ans que la diversité occupe une place de plus en plus importante dans la vie politique, sociale et, par-dessus tout, économique des Etats-Unis ; comment les Français ont-ils pu prendre un tel retard ? Ensuite, la déception : pourquoi diable la France a-t-elle finalement décidé de rattraper ce « retard » ? Ce livre ne répondra pas à la première question, qui de toute évidence constitue un sujet d’étude pour les historiens. Il s’attaque en revanche à la seconde. L’éventail des partisans déclarés de la diversité des Indigènes de la République (3) jusqu’au chef de l’Etat apporte déjà, par son étendue, un début de réponse.

On peut en préciser les contours en examinant une question posée par un militant des Indigènes de la République à propos non pas de la diversité, mais de l’égalité : « Que signifie concrètement l’affirmation paradoxale d’une égalité entre riches et pauvres, bourgeois et prolétaires, patrons et ouvriers, maîtres et serviteurs, Blancs et non-Blancs, hommes et femmes, hétéros et homos  (4)  ? » Ici, c’est la forme même de l’interrogation qui importe, et en particulier le glissement structurel qui s’opère quand on place sur un même plan l’opposition entre « maîtres et serviteurs », d’une part, et entre « Blancs et non-Blancs », d’autre part. En effet, les inégalités entre Blancs et non-Blancs et entre hommes et femmes, hétéros et homos... découlent avant tout de discriminations et de préjugés. Et, puisqu’elles procèdent du racisme et du sexisme, il suffirait, pour les éliminer, d’éradiquer le racisme et le sexisme.

Mais les inégalités entre riches et pauvres, patrons et ouvriers ne trouvent leur origine ni dans le racisme ni dans le sexisme ; elles résultent des rapports de propriété et du capitalisme. En matière d’inégalité économique, le racisme et le sexisme fonctionnent comme des systèmes de tri : ils ne génèrent pas l’inégalité elle-même, mais en répartissent les effets. Voilà pourquoi même la victoire la plus complète remportée sur le racisme et le sexisme ne comblerait pas le fossé entre les riches et les pauvres ; elle modifierait simplement leur répartition par sexe, inclination sexuelle et couleur de peau. Une France où un plus grand nombre de Noirs seraient riches ne serait pas économiquement plus égalitaire, ce serait juste un pays où le fossé entre les Noirs pauvres et les Noirs riches serait plus large.

Certes, la situation française comporte ses particularités : de l’après-guerre jusqu’à la fin des années 1970, les courants dominants de la gauche se préoccupaient exclusivement d’égalité économique. Les questions relatives au féminisme, au racisme, à l’homosexualité, etc., étaient ravalées au rang de « contradictions secondaires » ou simplement ignorées. Mais, depuis un quart de siècle, la situation a évolué au point de renverser l’ordre des priorités : à partir du tournant libéral de 1983, la lutte contre les discriminations (illustrée en particulier par SOS-Racisme) a remplacé la « rupture avec le capitalisme » dans la hiérarchie des objectifs. Dès lors qu’il s’est souvent substitué (au lieu de s’y ajouter) au combat pour l’égalité, l’engagement en faveur de la diversité a fragilisé les digues politiques qui contenaient la poussée libérale.

 Un engagement d’autant plus consensuelqu’il n’implique aucune redistribution de richesses

La volonté d’en finir avec le racisme et le sexisme s’est révélée compatible avec le libéralisme économique, alors que la volonté de réduire sans même parler de combler le fossé entre les riches et les pauvres ne l’est pas. En même temps qu’elle affichait son engagement en faveur de la diversité (en combattant les préjugés, mais aussi en célébrant les « différences »), la classe dirigeante française a accentué son penchant libéral. Ce dernier mouvement, caractéristique de la droite (M. Sarkozy incarne-t-il autre chose ?), se retrouve fréquemment chez des gens qui se proclament de gauche. En fait, à mesure que la question de l’« identité nationale » affermit son emprise sur la vie intellectuelle française qu’on la célèbre (le président de la République) ou qu’on la combatte (les Indigènes) , elle masque l’augmentation des inégalités économiques qui caractérise le néolibéralisme à travers le monde.

Mon intention ici n’est évidemment pas de soutenir que la discrimination positive (ou l’engagement pour la diversité en général) accroît les inégalités. Il s’agit plutôt de montrer que la conception de la justice sociale qui sous-tend le combat pour la diversité nos problèmes sociaux fondamentaux proviendraient de la discrimination et de l’intolérance plutôt que de l’exploitation repose elle-même sur une conception néolibérale. Il s’agit d’ailleurs d’une parodie de justice sociale qui entérine l’élargissement du fossé économique entre riches et pauvres tant que les riches comptent (proportionnellement) autant de Noirs, de basanés et de Jaunes que de Blancs, autant de femmes que d’hommes, autant d’homosexuels que d’hétérosexuels. Une « justice sociale » qui, en d’autres termes, accepte les injustices générées par le capitalisme. Et qui optimise même le système économique en distribuant les inégalités sans distinction d’origine ni de genre. La diversité n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité ; c’est une méthode de gestion de l’inégalité.

En dépit de leur ralliement tardif à la cause de la diversité et du néolibéralisme, les classes dirigeantes françaises apprennent vite. Dans le rapport annuel 2006 de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), M. Louis Schweitzer, son président, expose son approche singulière du concept d’égalité : « Si l’on croit à l’égalité, l’absence de diversité est le signe visible de discriminations ou d’une égalité des chances mal assurée  (5).  » En somme, si ceux qui gagnent plus d’argent que tout le monde ne sont que des Blancs et des hommes, il y a un problème ; si l’on trouve parmi eux des Noirs, des basanés et des femmes, il n’y a plus de problème. Si votre origine ou votre sexe vous prive des chances de réussite offertes aux autres, il y a un problème ; si c’est votre pauvreté, il n’y en a pas.

Un certain nombre de commentateurs estiment que la source de ces réflexions elle-même est sujette à caution. D’une part, le premier collège directeur de la Halde comprenait fort peu de représentants des « minorités visibles ». D’autre part, M. Schweitzer a longtemps dirigé Renault, une entreprise plusieurs fois condamnée pour discrimination syndicale. En réalité, ces deux objections manquent leur cible. Le problème de la Halde ne réside pas dans le manque de diversité du collège qui la dirige. Quand bien même cette instance rivaliserait de diversité avec l’équipe de France qui fut championne du monde de football en 1998, la société française ne s’en trouverait pas moins inégalitaire, sur le plan économique, qu’après un but de Zinedine Zidane ou de Lilian Thuram.

Le problème n’est pas non plus que M. Schweitzer se soit rendu coupable de discrimination syndicale : il n’y a aucune hypocrisie à s’opposer aux syndicats de gauche tout en soutenant la diversité. De même qu’il n’y a aucune contradiction entre la perpétuation des élites et leur diversification : on s’efforce de les diversifier pour les légitimer, pas pour les faire disparaître.

En homme d’affaires avisé, M. Schweitzer sait que l’engagement en faveur de la diversité définit tout autant une stratégie managériale qu’une position politique. La cause suscite d’ailleurs un engouement aussi puissant dans les écoles de commerce qu’auprès des Indigènes de la République. Soucieux d’offrir aux futurs dirigeants d’entreprise « une perspective “globale” de l’interculturel dans le domaine des affaires », Carlos et Javier Rabassó publiaient en septembre 2007 une Introduction au management interculturel. Pour une gestion de la diversité  (6). Cet ouvrage, qui voisine dans la même collection avec des titres tels que Marketing des activités tertiaires, Finance de marché, Stratégie financière et Le Coaching en cinq étapes, réserve des surprises à qui s’aventure au cœur des chapitres consacrés à la diversité : pratiquement chaque ligne pourrait avoir été écrite par les « gauchistes » des Indigènes de la République.

Par exemple, le reproche qu’adresse un de leurs dirigeants, M. Sadri Khiari, à la « gauche unitaire » (se soucier de la « diversité culturelle à l’échelle mondiale » mais pas « en France même  (7)  » ) résonne avec celui que les frères Rabassó font aux gouvernements européens, lesquels soutiendraient la diversité, sauf « à l’intérieur des frontières nationales » (p. 168). Et, de même que les Indigènes appellent « l’Etat et la société » à « opérer un retour critique » sur l’ « universalisme égalitaire, affirmé pendant la Révolution française » (« L’appel des Indigènes de la République »), nos deux professeurs d’école de commerce réclament une « nouvelle “révolution française” » s’appuyant sur « les thèmes controversés de la diversité, la discrimination et l’action positive » (p. 194).

Que peut bien signifier le fait que des représentants du monde des affaires et des descendants de « grands-parents » « mis en esclavage, colonisés, animalisés » partagent la même vision du monde ? Que la diversité, « dans son acception plus large (origines ethniques, sexe, handicap, âge, orientation sexuelle) », a acquis ce que le quotidien financier Les Echos appelle un statut d’ « impératif économique  (8)  » et que la gauche se montre aussi prompte que la droite à s’enthousiasmer pour ce nouvel « impératif ».

En d’autres termes, que la logique selon laquelle les questions sociales fondamentales portent sur le respect des différences identitaires et non sur la réduction des différences économiques commence à s’épanouir en France comme naguère aux Etats-Unis. Ici comme là-bas, la droite néolibérale s’est enfin trouvé une gauche néolibérale qui réclame ce que la droite n’est que trop heureuse de lui accorder. Et, quand il s’agit de rendre le marché du travail et le marché boursier plus efficaces en développant la diversité au sein des entreprises (l’« impératif économique »), cette gauche « rénovée » se montre même impatiente de jouer le rôle d’avant-garde.

 On désamorce la question socialeen la reformulant en problème d’identité culturelle

Parler de convergence entre la droite néolibérale et la gauche néolibérale à propos de la diversité peut passer pour une affirmation surprenante. Après tout, M. Sarkozy n’a-t-il pas été élu, en 2007, sur un programme exaltant l’identité nationale ? N’a-t-il pas, au cours de sa campagne, charmé les intellectuels les plus conservateurs, tel Alain Finkielkraut ? Et, une fois élu, ne s’est-il pas empressé d’instaurer un ministère de l’immigration et de l’identité nationale ? Toutefois, à peine le ministère était-il inauguré que M. Sarkozy déclarait, en janvier 2008 : « La diversité est bonne pour tout le monde. » Avant d’annoncer que ce combat serait au centre de son mandat.

La gauche néolibérale n’en attaque pas moins fréquemment M. Sarkozy comme s’il était vraiment raciste. L’explication est à la fois simple et logique : si la gauche néolibérale ne dépeint pas la droite néolibérale comme le faux nez de la vieille droite xénophobe, rien ne permet plus à la première de se distinguer de la seconde. D’où la jubilation du directeur de Libération Laurent Joffrin dès que M. Sarkozy émet le moindre borborygme inquiétant sur l’immigration et l’identité nationale.

En vérité, la gauche néolibérale est elle-même beaucoup plus proche de M. Sarkozy que celui-ci ne l’est de M. Jean-Marie Le Pen : tous deux sont partisans du capitalisme (tempéré), de l’économie de marché (régulée) et du libre-échange (raisonné). Certes, le président français a un léger avantage : il l’assume. Le Parti socialiste, en revanche ainsi que Joffrin lui-même le note avec une certaine mélancolie , cherche toujours à donner au « mot “socialisme” une définition qui soit à la fois contemporaine et bien distincte des politiques de l’UMP [Union pour un mouvement populaire] (9)  ».

L’objectif, ici, consiste à se proclamer de gauche sans jamais adopter, dans les faits, aucune position politique de gauche sachant, ce qui facilite encore la chose, que la critique radicale du capitalisme ne passe pas pour très « contemporaine ». Mais nous autres Américains avons trouvé la solution. Nous nous querellons sans fin sur l’identité, en inventant des distinguos comme : s’opposer à la discrimination positive (parce que, prétendent les républicains, c’est de la discrimination envers les Blancs !) serait une position de droite, soutenir la discrimination positive (parce que, répliquent les démocrates, c’est une réparation que nous devons aux Noirs pour les années de discrimination que nous leur avons fait subir !) serait une position de gauche. Bref, nous nous occupons.

Il suffit de comparer les obligations liées à la diversité (tout le monde doit être aimable avec tout le monde) avec celles qu’implique l’égalité (certains doivent renoncer à leur richesse) pour comprendre à quel point l’engagement pour la diversité a transformé le projet politique de la gauche américaine en un programme visant à ce que les riches de couleur de peau ou d’orientation sexuelle « différentes » se sentent plus « à l’aise » sans toucher à la chose qui, entre toutes, les rend les plus « à l’aise » : leur argent.

Tel n’a pas toujours été le cas. Cofondateur en 1966 du parti des Black Panthers aux Etats-Unis, le militant des droits civiques Bobby Seale mettait en garde ses camarades : «   Ceux qui espèrent obscurcir notre combat en mettant en avant l’existence de différences ethniques aident au maintien de l’exploitation des masses : Blancs pauvres, Noirs pauvres, Bruns [Hispaniques], Indiens, Chinois et Japonais pauvres. » Pour Seale, les choses étaient claires : « Nous ne combattrons pas l’exploitation capitaliste grâce à un capitalisme noir. Nous combattrons le capitalisme grâce au socialisme  (10).  » L’éloignement de cette dernière perspective devait-il avoir pour corollaire le ralliement à un « capitalisme noir » ?

Non contents de prétendre que notre vrai problème est la différence culturelle, et pas la différence économique, nous nous sommes mis en outre à traiter cette dernière comme si elle était elle-même une différence culturelle. Ce qu’on attend de nous, aujourd’hui, c’est que nous nous montrions plus respectueux envers les pauvres et que nous arrêtions de les considérer comme des victimes car les traiter comme des victimes serait faire preuve de condescendance à leur égard, dénier leur « individualité ».

Or, si nous parvenons à nous convaincre que les pauvres ne sont pas des personnes en demande d’argent mais des individus en demande de respect, alors c’est notre « attitude » à leur égard, et pas leur pauvreté, qui devient le problème à résoudre. Nous pouvons dès lors concentrer nos efforts de réforme non plus sur la suppression des classes, mais sur l’élimination de ce que nous, Américains, appelons le « classisme ». Le « truc », en d’autres termes, revient à analyser l’inégalité comme une conséquence de nos préjugés plutôt que de notre système social : on substitue ainsi au projet de créer une société plus égalitaire celui d’amener les individus (nous et, en particulier, les autres) à renoncer à leur racisme, à leur sexisme, à leur classisme et à leur homophobie.

 Répartir les inégalités sans distinctions d’origine ou de sexe, ou les supprimer ?

Cette stratégie, libre à la France de l’adopter elle aussi. A ce sujet, l’interminable débat qu’a suscité l’« affaire du foulard » à l’école peut être tenu pour une répétition prometteuse. En un sens, en effet, il s’agissait là, comme Pierre Tévanian l’a souligné, d’un « faux débat » les quelques jeunes filles qui portaient le foulard ne constituaient aucune menace pour la France ou le système éducatif français, et leur but n’était pas de s’attaquer au principe même de la laïcité. Pourquoi, dès lors, ce débat a-t-il pris une telle ampleur ? Pour Tévanian, la réponse tient à « un racisme latent, que l’on retrouve dans tous les milieux sociaux et toutes les familles politiques  (11)  ». Mais cette réponse n’est, au mieux, que partiellement on pourrait même dire symptomatiquement exacte. Car le débat autour du foulard a aussi mis au jour la force de séduction de l’« antiracisme » des uns, ainsi d’ailleurs que de l’« antisexisme » des autres.

Chaque camp a pu s’en donner à cœur joie, l’un accusant l’autre de racisme pendant que le second instruisait contre le premier un procès en sexisme « Vous n’êtes contre le port du foulard islamique que parce que vous méprisez les droits des musulmans ! » « Vous n’y êtes favorable que parce que vous méprisez les droits des femmes musulmanes ! » Ce qui contribua à un tel succès, c’est que, tout comme la polémique autour de la discrimination positive aux Etats-Unis, ce débat ne sortait à aucun moment de la question de l’identité.

Les occasions d’amorcer de nouveaux sujets de controverse de ce type ne manqueront pas ; de fait, la polémique autour de la mémoire et de l’histoire de France offre un modèle indéfiniment reproductible. Pendant que la gauche « mouvementiste » déplore par la voix des Indigènes que la France néglige complètement « la réhabilitation et la promotion de nos histoires dans l’espace public » (c’est moi qui souligne), la droite conservatrice par la voix de Finkielkraut et consorts estime que les Indigènes devraient soit considérer l’histoire de France comme leur histoire, soit se rappeler qu’ « ils ont le droit de partir  (12)  ».

Et, bien que Finkielkraut se montre particulièrement grincheux à l’égard de ceux qui réclament une « repentance » française pour les méfaits et les crimes commis dans le passé, ses élèves de l’Ecole polytechnique (qui, devenus chefs d’entreprise, n’auront aucune envie de voir toute cette main-d’œuvre bon marché exercer son « droit de partir ») ne tarderont pas à apprendre la leçon que leurs homologues américains ont assimilée depuis longtemps : manifester son respect pour les gens pour leur culture, leur histoire, leur sexualité, leurs goûts vestimentaires, et ainsi de suite revient bien moins cher que de leur verser un bon salaire.

Coauteur d’un ouvrage sur La Diversité dans l’entreprise. Comment la réaliser ? (Editions d’organisation, 2006), M. Yazid Sabeg, patron d’entreprise millionnaire, a lancé en novembre 2008 un manifeste audacieusement intitulé « Oui, nous pouvons (13) ! » ; le mois suivant, le chef de l’Etat le nommait commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. « L’Amérique a confirmé la validité d’un modèle démocratique fondé sur l’équité et la diversité », proclame le manifeste, signé par des personnalités de droite comme de gauche et soutenu par Mme Carla Bruni-Sarkozy. Laquelle estime qu’ « il faut aider les élites à changer ». Non pour remettre si peu que ce soit en cause leur statut d’élites, mais pour les rendre plus noires, plus multiculturelles, plus féminines le rêve américain.

 

Walter Benn Michaels
Commenter cet article
C
Et la realite dans tout ce beau paragraphe? Elle restera toujours divise entre bon et mauvais et les gentils et ls mechants. Si la laïcite reprend le dessus alor là emergera une nouvelle societe faite de tolerance lien qui permet le bien vivre ensemble sans acrimonie et sans distinction de couleur de race et de prejuge
Répondre